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Mar292012

Les trésors archéologiques égyptiens : une arme de diplomatie internationale

Al Ahram, 17/07/2006

Rares sont les pays qui peuvent, comme l’Egypte, rassembler les trésors archéologiques les plus beaux et les plus chers pour réaliser une campagne pour la paix. Cette campagne qui donne plaisir à regarder l'histoire lors de tournées dans les capitales du monde, attire des milliers, voire des millions de «visiteurs» qui témoigneront de la gloire de notre civilisation. Les Chefs d’Etat, les ministres et les grandes personnalités tiennent à assister à l’inauguration de ces expositions égyptiennes.

Le rôle diplomatique joué par les trésors égyptiens est unique; il relève de la diplomatie officielle exercée au niveau des responsables dans ces pays et ceux de l’Egypte. C’est un don précieux que fait l’Egypte à certains pays en acceptant d’y exposer ses trésors. Ce rôle diplomatique a une portée populaire : il exerce une certaine influence sur l’opinion publique dans ces pays de manière à confirmer le prestige de la civilisation égyptienne. C’est ce qu’on appelle la « diplomatie publique ». Notons que les Etats Unis affectent des sommes colossales à ce genre de diplomatie sans pour autant atteindre les mêmes résultats réalisés par l’Egypte.

Le Ministre de la Culture égyptien, Farouk Hosni, est responsable de tracer les grandes lignes de la stratégie culturelle égyptienne, dont les monuments et les trésors archéologiques font partie intégrante. Il a donc mis en vigueur cette stratégie sans précédent, conformément à sa pensée, à son style et à son goût, pour servir les intérêts de la diplomatie égyptienne, qu’elle soit internationale ou nationale.

Quant à Zahi Hawas, c’est le chef d’orchestre responsable de diriger les glorieuses tournées des trésors égyptiens et de les protéger. Le fait d’assister en personne aux cérémonies inaugurales de ces expositions constitue un atout supplémentaire de la part de ce responsable.
En effet, cet homme, dont le nom est lié aux monuments égyptiens, est aussi réputé tant pour sa science profonde que pour son style. Après l’exposition des trésors égyptiens qui a eu lieu à Berlin le 12 mai 2006, on doit saluer avec respect le chef de l’Etat égyptien, devenu le symbole même de l’Egypte et dont l’avenir n’est qu’une prolongation de son passé. Notons que cette exposition a groupé 489 pièces rares repêchées du littoral méditerranéen d’Alexandrie.

D’autre part, les responsables du Haut Conseil des Antiquités ont pris une décision judicieuse : l’exposition tenue à Berlin sera prolongée jusqu’au 4 septembre, elle sera ensuite transportée à Paris du 20 septembre au mois de mars 2009. Ainsi, c’est pour une durée de six mois que l’Allemagne et la France seront les témoins d’une présence égyptienne visant à exposer nos trésors les plus beaux et les plus chers. Ces expositions seront visitées par des millions de personnes ; les visiteurs et les admirateurs d’aujourd’hui seront les touristes de demain en Egypte.

Autrefois, l’arrivée de la momie de Ramsès II à Paris pour restauration a eu un retentissement international. Comme la France est le pays natal de Champollion qui a déchiffré les hiéroglyphes, les spécialistes de la restauration des monuments et les médecins français ont considérés qu’il leur fallait sauver le Pharaon égyptien afin de confirmer le rôle primordial de la France dans ce domaine. Les nouvelles de la restauration de cette momie ont figuré, pendant de longs mois, à la une de la presse écrite et au début des bulletins d’informations à la télévision Française.

Ensuite, la momie restaurée de Ramsès II, en bon état, a occupé sa place dans le Grand Palais, ce superbe édifice situé à quelques pas des Champs Elysées. Le peuple français et les touristes européens n’ont jamais, à ma connaissance, fait preuve d’une si grande patience : ils faisaient des queues interminables pour pouvoir jeter un coup d’œil sur le Pharaon. Lors des fêtes de célébration de la présence de la momie de Ramsès II en France, le Président Giscard-d’Estaing a eu plaisir à entendre ses proches déclarer que sa tête ressemblait en quelque sorte à celle du Pharaon. Ce fut pour lui le grand titre honorifique qu’on puisse lui accorder, titre plus noble que son titre français.

Dans les années soixante et au début des années soixante-dix, l’UNESCO a accordé un grand intérêt au sauvetage des monuments de la Nubie. Pendant de longues années, cette organisation a déployé de grands efforts pour atteindre cet objectif, surtout en ce qui concerne les monuments d’Abou Simbel. A ce propos, quatre personnes ont gravé leurs noms dans l’histoire grâce à leur rôle primordial dans le sauvetage d’une bonne partie du patrimoine culturel mondial, à savoir : André Malraux, ancien Ministre de la Culture et écrivain célèbre, Sarwat Okacha, Ministre égyptien de la Culture, Madame Desroches de Noblecourt, l’inoubliable égyptologue, et René Maheu, Directeur de l’UNESCO à l’époque. Notons que le nom de celui-ci est jusqu’à présent lié au rôle joué par cette organisation dans le sauvetage des monuments de la Nubie. Certains adversaires de l’UNESCO critiquaient cette organisation à cause de l’intérêt qu’elle accordait aux affaires politiques et au Tiers-Monde. Ces questions relevaient, selon eux, de la compétence du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Pourtant, ces mêmes opposants considèrent que, pour déterminer le rôle effectif que doit jouer l’UNESCO au niveau international, le sauvetage des monuments de la Nubie doit être un exemple à suivre.

Je me souviens aussi de l’arrivée au Petit Palais de notre grand ambassadeur le Pharaon Toutankhamon, qui a suscité l’admiration de milliers de visiteurs provenant de France et des quatre coins du monde. Ces visiteurs faisaient, eux aussi, des queues interminables à tel point que les médias français ont demandé au public de ne pas se hâter, l’exposition devant durer quatre mois. A propos du rôle diplomatique joué par ces trésors archéologiques égyptiens, notons aussi que le général De Gaulle s’est rendu, le 9 Mai 1967, au Petit Palais pour passer plus d’une heure avec Toutankhamon, il a aussi loué la beauté, le goût raffiné et le niveau artistique élevé de l'exposition.

Puis, élevant sa voix de manière à ce que tout le monde puisse l’entendre, il a dit:«Merci mille fois à l’Egypte» qui nous a permis de présenter ces merveilles à Paris afin de contenter des milliers de visiteurs français et européens devant ces trésors. Contrairement aux règles du protocole et pour les beaux yeux de Toutankhamon, le Président De Gaulle a organisé un déjeuner en l’honneur du Ministre égyptien Sarwat Okacha.

Le Président français a saisi cette occasion pour discuter, en tête-à-tête, avec le Ministre égyptien des problèmes de la politique et de ses dangers au Moyen Orient. Il l’a aussi chargé de transmettre au Président égyptien Gamal Abdel-Nasser le message suivant:«le Président français désire que son homologue égyptien visite la France et, de son côté, il aspire à visiter l’Egypte. Si ces deux visites, annulées par la défaite de juin 1967, avaient eu lieu, la situation au Moyen Orient aurait bien changé. Les trésors égyptiens sont donc devenus une partie intégrante de la diplomatie culturelle égyptienne ; les revenus en sont considérables.

En organisant les expositions de nos trésors dans différents pays bien choisis, Farouk Hosni, Ministre de la Culture, peut contribuer à maintenir l’équilibre dans nos relations internationales : ces expositions seront des «Prix d’Honneur» décernés aux pays qui entretiennent de bonnes relations avec l’Egypte. A cet égard, il faut rappeler que la culture est, selon l’avis de certaines personnes, y compris l’auteur de cet article, une arme stratégique suprême.

En effet, elle est permanente tandis que la politique et l’économie sont, comme la bourse, sujettes à des hauts et des bas. Enfin, lorsque Zahi Hawas, debout admirant ces pièces uniques qui voyagent en Allemagne, en France, en Europe ou aux Etats Unis, et expliquant devant des Rois ou des Chefs d’Etat les secrets de ces trésors, ses paroles ont une grande influence psychologique sur eux: on sent bien qu’ils sont éblouis par ce qu’ils entendent et voient. Zahi Hawas devient alors le porte parole «éloquent» de nos glorieux trésors silencieux.