Les Frères musulmans doivent renoncer à la violence et s’excuser publiquement avant la réconciliation
Interview du Dr. Aly El Samman
Al Watan, 19/08/2015
par Heba Amine
A 86 ans, Dr Aly El Samman a connu la royauté, 3 révolutions, 7 présidents et la confrérie des Frères musulmans à ses débuts. Il en a fait partie à l’époque de son créateur Hassan Al Banna, mais quand il apprit la mort du juge Al Khazendar assassiné par les Frères musulmans, il quitta le mouvement immédiatement.
Dans son interview avec Al Watan, Dr. Aly El Samman, président de l’Union internationale pour le dialogue interculturel et religieux et l’éducation de la paix (ADIC) a dit qu’il était très proche de Hassan al-Hodeibi, le guide suprême des Frères musulmans à l’époque où il travaillait auprès du Président Anouar El Sadate en tant que conseiller pour l’information extérieure.
Ci-dessous, extraits de l’interview:
Q. Que pensez-vous du fait que le président Abdel Fatah Al Sissi portait l’uniforme militaire au début des festivités de l’inauguration du projet du nouveau Canal de Suez , pour ensuite revêtir une tenue civile?
R. C’est tout à fait son droit en tant que commandant en chef des forces armées de porter la tenue militaire en certaines occasions, ce qui était le cas à bord du yacht Al Mahroussa. L’inauguration du nouveau Canal de Suez est considérée comme un événement historique de même qu’un signe de progrès militaire. Les travaux de forage sur le canal ont été réalisés par les militaires; en conséquence, le président leur a rendu hommage en portant l’uniforme. Plus tard, lorsqu’il est apparu habillé en civil, avant de rencontrer les personnalités internationales, cela était également nécessaire d’envoyer le message à tous les Egyptiens, qu’il est un président civil.
Q. Certains ont exprimé des réserves sur le fait qu’El Sissi ait revêtu l’uniforme militaire et d’autres ont saisi cette opportunité pour prétendre que le 30 juin était un coup d’état militaire.
R. C’est vraiment ridicule, car de toute façon Al Sissi est commandant en chef des armées. Et ceux qui allèguent que sa tenue militaire prouve qu’il est un dirigeant militaire, veulent tout simplement créer des troubles à l’instar de ceux qui disent que l’Egypte n’est pas un pays laïc et que notre régime n’est pas démocratique.
Q. A votre avis, le régime égyptien est-il un régime militaire ou un régime civil ?
R. A mon avis, c’est à n’en pas douter un régime civil. L’aspect militaire ne concerne que ce qui vise à sauvegarder notre sécurité nationale. Y renoncer signifierait renoncer à notre propre protection.
Q. Pourquoi le régime des Frères musulmans a-t-il échoué ?
R. Comme je l’ai dit lors d’une interview à la télévision à l’époque où les Frères musulmans étaient au pouvoir, ils n’avaient pas la capacité ni l’esprit d’entreprise pour diriger une nation. En tant que groupe, il leur est demandé d’obéir à leurs chefs sans discussion. Quelques soient les ordres du bureau central (Ershad), le reste du groupe doit suivre. Leur échec tient également au fait qu’ils aient essayé de démolir certaines des institutions principales du pays, telles que la magistrature, l’armée et la police. Ils ont cherché la bagarre avec le procureur général puis l’ont remplacé par l’un des leurs. Les Frères musulmans ont cru pouvoir diriger le pays par la force.
Q. Que pensez-vous des tentatives de réconciliation (avec les Frères musulmans) dont on parle régulièrement ?
R. Tout d’abord, pour qu’il y ait réconciliation, les Frères musulmans devraient présenter leurs excuses au peuple et exposer les motifs pour lesquels ils ont attaqué le pays. Deuxièmement, ils doivent écouter attentivement ce que disent leurs ainés avisés, ceux qui ont dénoncé la violence, refusé l’extrémisme et se sont opposés aux assassinats. Tous ces actes devraient faire partie du passé; autrement, ils resteront hostiles à nos institutions nationales. Je crois que les Frères musulmans n’ont pas dénoncé le terrorisme ni en action ni en principe. Le terrorisme est également de la responsabilité de ceux qui ont organisé, armé et financé les Frères musulmans.
Q. Quelle est l’essence du dialogue interreligieux ?
R. Cela signifie que lorsque vous m’écoutez, je devrais également vous écouter et vous comprendre, et vous devriez me comprendre. Le dialogue par essence c’est vivre ensemble en paix et sécurité.
Q. Malheureusement le dialogue est rarement porteur de résultats tangibles, manquant d’application pratique
R. Je dois admettre que le dialogue interreligieux a manqué l’essentiel, c’est-à-dire d’impliquer le grand public dans son ensemble. Le dialogue touche essentiellement l’élite, ce qui compromet son succès. Il est impératif de renouveler le discours religieux et de le redéfinir si nous voulons faire participer le public en général. Des révolutions sont nécessaires dans les domaines de la culture, de l’éducation et de l’industrie pour engager le public dans son ensemble.
Q. Quand les Frères musulmans renonceront-ils à la violence ?
R. Il est difficile d’imaginer un calendrier pour cela. Cependant, cela pourrait arriver si un nombre suffisamment important de ses membres commençaient à préconiser une ligne de conduite différente. Rien n’indique que cela puisse se produire prochainement.
Q. Comment voyez-vous l’avenir de l’Islam politique ?
R. Je ne pense pas en terme « d’Islam politique ». Il y a la politique et il y a l’Islam. Lorsque les deux se mélangent, les deux sont perdants. Par conséquence, lorsque l’on me demande ce que je pense de l’avenir de l‘Islam politique, je réponds que je ne pense pas qu’il ait un avenir. Cependant, si les islamistes veulent entrer en politique, ils doivent choisir le chemin de la tolérance, de la modération et renoncer à la violence et au terrorisme.
traduit d'Al Watan