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Mar292012

Le Pape du Vatican en Égypte: Rencontre de Symboles

Al Ahram, 04/03/2000

Le Jeudi 24 février 2000 demeurera une date gravée en lettres de lumière dans l’histoire des relations islamo-chrétiennes et des relations entre l’État égyptien et l’État du Vatican. Rares sont ceux qui savent que le Vatican a deux côtés indépendants. D’un côté, l’État qui a pour président le Pape du Vatican, puis son premier ministre, son ministre des affaires etrangères et ses ambassadeurs dans la plupart des pays du monde. Cet État, à son tour, reçoit des ambassadeurs (d’autres pays) accrédités auprès du Vatican. Et il y a cet autre côté, celui de l’Église, avec son cortège de Cardinaux nommés par le Chef de l’Église, Jean-Paul II et qui représentent le pouvoir de l’Église, dans la majorité des pays du monde.

1- La rencontre du Président de la République Arabe d’Égypte et le Chef de l’État du Vatican lors du Sommet, a plus d’une signification :

Première signification:
Le Président égyptien a confirmé le pluralisme des sources spirituelles et religieuses concernant l’inspiration du peuple égyptien. Il a assuré avec grandeur et fermeté que le peuple égyptien tirait son inspiration de l’Islam et du Christianisme et avait foi dans les enseignements du Coran et de l’Évangile. Que ceux qui prônent l’extrémisme se rappellent bien du sens profond des paroles du Chef d’un pays qui sait que l’Islam et le Christianisme en forment les racines historiques.

Seconde signification:
Le Président égyptien considère que l'une des gloires historiques de l’Égypte est représentée par l’un des piliers de l’histoire mondiale du Christianisme: Saint Marc. Ce dernier a vécu en 61 sur le sol d'Egypte et a fondé l’Église d’Alexandrie, contribuant grandement à la pensée chrétienne en particulier et à la philosophie en général. Ces deux significations constituent un signal important, c'est que le leadership politique égyptien croit en un seul concept. L’Histoire de l’Égypte est un tout indivisible. Elle inclue ce qui a précédé et ce qui a suivi l'Islam, tel que la présence du Christianisme en terre d’Égypte. Je suis persuadé que les Professeurs d’Histoire à l’Université et dans les écoles, transmettront ce principe et cet équilibre dans leurs écrits comme dans leurs études, afin que nous ressentions toujours avec respect et amour la réalité islamique et chrétienne de l’Égypte grâce à notre amour pour l’Égypte ainsi qu'à son Histoire grandiose.

Troisième signification:
En revanche, Sa Sainteté, le Pape du Vatican, confirme, de son côté, que l’Égypte est un bastion d'études chrétiennes. Elle a joué un rôle essentiel dans la sauvegarde des cultures et croyances propres à l’Église. De même, le Pape romain a indiqué l’importance du rôle historique joué par les grandes figures du Christianisme qui ont concrétisé leur gloire en Égypte, tels que Saint Marc, Saint Antoine et Sainte Catherine. Ceci montre le sens profond à celui qui désire comprendre comment l’Égypte à l'époque a-t-elle réussi à protéger le Christianisme sur sa propre terre, dès les premiers temps et depuis la naissance de Jésus-Christ. En outre, le Pape du Vatican confirme que l’Islam est une religion de science et de connaissance et qu'elle éclaire la voie de la foi, en Afrique et dans le Monde Arabe. Le Pape Jean-Paul II reprend l’idée que l’Égypte est le pays de l’unité nationale. Il confirme que l’Égypte a appliqué les idées d’unité nationale et que les différences de religions n’ont jamais été un obstacle à la compréhension mutuelle mais plutôt au service d’une société unifiée et unique. La plus importante signification de telles paroles est que le Pasteur de la plus grande Église au monde ne considère pas que de quelconques incidents survenus puissent modifier la conviction mondiale: l’Égypte est le pays de l’unité nationale. Jean-Paul II comme grand moraliste, intelligent et sage a prouvé cette idée se référant aux propres paroles du Pape Chenouda III (à la tête de l’Église égyptienne) pour qui «l’Égypte n’est pas un pays où l’on s’installe mais une patrie qui vit en nous».

2- Le sommet religieux entre le Grand Imam Cheikh Al Azhar et Sa Sainteté le Pape du Vatican: La rencontre de Jean-Paul II et de Dr Sayyed Tantawi, entourés des Leaders et théologiens de l’Église catholique ainsi que de la délégation d'Al-Azhar a été une rencontre entre symboles de haut niveau. Ces symboles ont attiré tous les peuples Chrétiens et Musulmans dans leurs diverses confessions, c'est-à-dire plus de la moitié de l’humanité. Certains aspects sont à souligner :

- Il y a des rencontres de symboles qui sont fortes et de haut niveau - en raison de l’importance de ces symboles auprès de leurs peuples - et qui, rien que par le fait qu’elles aient lieu, réalisent déjà la moitié de leur objectif. L’un des symboles est représenté par son Éminence le Cheikh Dr Mohammad Sayyed Tantawi qui porte sur ses épaules la charge que représente Al-Azhar œuvrant depuis mille ans pour propager l’appel à la Vérité et à l’opposition contre l’injustice, une charge qu’il porte avec simplicité et humilité.
Quant au symbole de Sa Sainteté le Pape du Vatican, avec son poids moral qui influence de l’intérieur les pays du monde entier, il avance à pas lents, défiant ses forces physiques, comme s’il voulait accomplir jusqu’au dernier souffle, une mission en Terre d’Égypte et pour la Maison de l’Islam. Les symboles de cet immense sommet religieux sont entrés par le seuil de l’honorable Maison d’Al Azhar, le Grand Imam prenant avec douceur le bras de son hôte et c’est là que se sont manifestés avec force les sentiments des Ulémas (théologiens) d’Al-Azhar, par une ovation sans précédent dans l’accueil d’un Chef religieux non-musulman. Les Ulémas applaudissant de manière inhabituelle et non traditionnelle, les Cardinaux et les théologiens affichant un immense sourire de bonheur. C’est là que se trouve le sens fort de la rencontre des symboles. Le courant d’amour, de cordialité et de félicité a traversé le cœur des hommes et j’ai alors ressenti que la rencontre des symboles d'Al-Azhar et du Vatican est un message et un langage adressés au cœur des hommes. J’ai compris aussi qu’il n’est pas vrai que l’existence n’est gouvernée que par la raison et le calcul mais que les sentiments, la spontanéité et la ferveur d’une rencontre ont toute leur place dans la réalité. Les paroles que se sont échangées, le Grand Imam et Sa Sainteté le Pape du Vatican, dès l’entrée à Al-Azhar jusqu’à la salle de réunions, et de retour à l’entrée d’Al-Azhar alors que je lui tenais le bras, étaient spontanées mais porteuses d’une forte signification, paroles par lesquelles le Grand Imam a voulu associer Al-Azhar et ses Ulémas à chacun des mots adressés au Pape du Vatican, en l’accueillant dans la Maison de l’Islam. Le Pape s’est rendu compte, de ses propres yeux et selon sa sensibilité remarquable, que les membres d’Al-Azhar l’accueillaient véritablement avec un esprit et un cœur ouvert. Il s’est arrêté un instant lorsque la chaleur de la rencontre et de l’accueil a atteint son paroxysme et m’a dit : «Je n’oublierai jamais ce jour, c’est un cadeau du Seigneur».

- Un autre symbole lui a été offert de la part de la direction d’Al- Azhar qui avait organisé l’accueil, avec l’ambassadeur d’Égypte auprès du Vatican. Elle avait placé chacun des hommes d’Église, revêtu de son habit particulier, à côté d’un responsable d’Al-Azhar, enturbanné de blanc. Ce signe montrait bien que tous étaient venus pour coopérer ensemble, se connaître et pour que l’on échange amour et cordialité, au niveau des adjoints et assistants et non uniquement au niveau des Sommets. À propos de cordialité, je n’oublie pas cette phrase prononcée devant moi par le Pape Copte Chenouda III, alors qu’il accueillait le Cheikh Al-Chaarâwi, il y a quelques années: «La cordialité crée le mot qui parvient agréablement à l’oreille puis au cœur par le plus court chemin pour enfin atteindre l’esprit et l’influencer». 3- Un nouveau signal nous est parvenu du Pape du Vatican lorsqu’il a déclaré que cette visite était historique puisque c’était la première fois de toute l’Histoire qu’un Pape du Vatican rendait visite à Al-Azhar. Sachant que le monde entier s’est habitué à peser chaque mot que prononce le Pape du Vatican, il devient inéluctable de relier le symbole à la rencontre et à l’Histoire. Se sentant responsables, Son Éminence, le Grand Imam et ses collaborateurs ont commencé à réfléchir sérieusement à l’étude de certaines propositions concernant la consolidation de cette visite et la perpétuation de son souvenir, comme étant l’occasion par laquelle les hommes d’Al-Azhar et du Vatican, et plus généralement musulmans et chrétiens, confirment que la Paix et la Charité qui règneront entre eux, seront au service de l’humanité. 4- Le Cheikh d’Al-Azhar et le Pape de Rome ont indiqué le rôle créatif central joué par la Commission commune d’Al-Azhar et du Vatican ainsi que celui du Comité Permanent d’Al-Azhar pour le Dialogue des Religions Monothéistes présidé par Dr Fawzi Al-Zafzaf, représentant personnel du Cheikh d’Al-Azhar et Président du Comité, et dont j'ai l’honneur d'occuper le poste de Vice-Président et de Conseiller du Grand Imam. Cette indication est en fait un message exprimant la volonté d’Al-Azhar et du Vatican qui ont déjà signé un Accord en mai 1998 afin de renforcer les mécanismes de coopération de ces Commissions. Cet Accord constituait un virage important préludant à la réussite de la rencontre au Sommet du 24 février, entre le Grand Imâm, Cheikh Al-Azhar et le Pape de Rome. Il est bien connu que cet Accord avait pour principe moral de reconnaître les efforts déployés dans la voie du rapprochement depuis plus de quatre ans et qui avaient précédé la signature de cet Accord.

Il ne faut jamais oublier egalement le rôle joué par le Cardinal Koenig, Cardinal de Vienne, l'Association de l'ADIC ainsi que la Conférence de La Sorbonne de 1994. 5- Lorsque on entend les paroles du Cheikh d’Al-Azhar et du Pape de Rome, on comprend alors que parmi les plus importants objectifs du dialogue, il y a la recherche des valeurs communes à toutes les religions dont celle de répandre la Vérité et celle de faire reculer l’injustice par des prises de position communes.

En bref :

Je souligne avec toute franchise et sincérité que ces lignes ne sont que des points de départ d'un long chemin. Il faut frayer une voie avec beaucoup d'efforts et beaucoup de patience pour que la parole donnée soit à la hauteur de la foi de chacun de nous.