Face à 100 rabbins à Séville : Il n'y a pas d'alternative à la confrontation intellectuelle franche et globale
Al Masry Al Youm, 30/04/2006
Je n'ai pas hésité un seul moment à accepter l'invitation de l'Association française «Hommes de parole» pour assister à la «Conférence des Rabbins et Imâms», organisée le mois dernier, sous les auspices des Rois Mohammed VI du Maroc et Juan Carlos d'Espagne. Le fait que la séance d'ouverture ait eu lieu dans un palais, construit par le Roi Al-Hassan II, sur le territoire andalou de la ville de Séville, appelé «la maison des trois cultures» : Islam, Christianisme et Judaïsme, m'a énormément fait plaisir. Ce palais est considéré comme un chef d'œuvre exceptionnel de l'architecture islamique. Je me suis trouvé alors face à face avec des dizaines de Rabbins que j'avais déjà rencontrés, pour certains d'entre eux, lors d'autres conférences à Davos, à New York et à Bruxelles, avec des Imâms.
Parmi ces derniers, j'ai reconnu Emad Al-Faloujy l'Imâm de Palestine à Gaza, dont la voix retentissait dans la salle en disant : «L'injustice et le dialogue ne peuvent pas se rencontrer, on ne veut pas dire des mensonges comme font les politiciens». J'étais aussi ravi d'entendre Rabbin Michael Melchior, Rabbin israélien, ancien Vice-Ministre des affaires étrangères, réclamant une position équitable vis-à-vis des palestiniens, évoquer l'importance de la création d'un etat palestinien et le rejet de toute haine. Al-Faloujy et Rabbin Michael Melchior étaient d'accord sur l'importance d'unir la parole des hommes de religion sur les valeurs de paix et de justice.
Après avoir suivi les discours inauguraux, ce fut à moi de parler. Je n'avais pas d'autre choix que d'être clair, franc et tranchant en m'adressant aux deux parties (Imâms et Rabbins), pour leur tenir clairement le même langage :«Il est peut- être permis aux politiciens de parler deux langages différents et d'appliquer deux critères différents, et à un certain niveau aux économistes aussi ; mais ceci n'est absolument pas autorisé aux hommes de religion qui doivent s'adresser de la même manière au monde entier. Il faut que les Rabbins et les Imâms osent prendre le risque de susciter la colère d'une partie de leurs homologues et de leurs peuples, afin de soutenir les droits et la justice. De même je souligne qu'il n'y a aucun moyen de séparer paix et justice. J'ai réclamé ceci aux conférences de Bruxelles, de New York, de Londres et du Vatican.» J'ai ajouté :« Il est dangereux d'accepter d'associer une connotation religieuse au terme (terrorisme). Il est incorrect et injuste de parler d'un terrorisme islamique par exemple, car qualifier un crime horrible d'islamique c'est-à-dire lui accorder un certain degré de noblesse.»
Puis j'ai lancé un appel évoquant la foi et le credo de tout le monde pour dire :Pas de monopole de la croyance en Dieu, Pas de monopole de l'interprétation de la parole de Dieu, Pas de monopole pour déterminer la place des êtres auprès de Dieu. Le discours du Cheikh Ibrahim Reda, l'Imâm de la Mosquée Al-Khazendar à Shoubra (le Caire) a attiré l'attention des conférenciers. Cheikh Reda jouit d'une certaine notoriété médiatique, car il prêche l'Islam de tolérance et de modération. Grâce à l'ouverture d'esprit des responsables des médias en Egypte et à la conscience du Ministre des Waqfs (Biens Religieux) Dr Zaqzouq, ce jeune Imam répond au concept impératif de la nécessité d'avoir des Imâms et des orateurs capables de parler aux gens avec des paroles et des propos modernes, tout en respectant les références religieuses. Cheikh Reda a parlé savamment de la perception de l'Islam des autres religions et de l'importance du dialogue avec l'Autre.
Là, je reviens à la conférence et à ses activités. En effet, malgré les différends et les confrontations entre quelques-uns des membres de la délégation palestinienne, lors de l'exposé des droits de ce peuple et de l'injustice qu'il subit par le pouvoir israélien (le fait de le priver de la liberté de déplacement, de nourriture et de la récupération des dettes que lui doit Israël) et malgré aussi les tentatives israéliennes de limiter les discussions au cadre de la religion sans évoquer l'importance de commencer des négociations ; malgré tout ceci je continuais à dire lors de mes conversations et rencontres bilatérales ou collectives avec ces Rabbins que :« Le droit des Palestiniens à l'indépendance, à la liberté de circulation dans le territoire de la bande de Gaza n'est pas un propos politique, c'est plutôt une affaire éthique et morale et par conséquent religieuse, car il est en relation directe avec la liberté et la dignité de l'homme.»
Je le dis ouvertement, je voudrais que cette conférence réponde à ce que nous réclamons dans toutes les conférences internationales : le fait de ne pas généraliser les jugements. On ne peut pas dire (tous les Musulmans) pour des crimes et des erreurs commis par certains d'entre eux en Afghanistan, ni (tous les Juifs) en parlant des crimes de violence et de meurtre commis par l'armée israélienne. Le rejet de la généralisation des jugements est une partie intégrante des préceptes de l'Islam qui a préféré toujours des expressions relativisantes comme (certains, quelques-uns ou beaucoup parmi eux) pour éviter le piège de la généralisation." Lorsque j'étais un des responsables du (Comité Permanent d'Al-Azhar pour le Dialogue entre les Religions Monothéistes), on a présenté au Vatican une étude sur toutes les références religieuses en Islam dénonçant la généralisation des jugements. Cette recherche est enseignée actuellement à l'Université du Vatican.
Là, je dois avouer pour une seconde fois à mon lecteur que face à cette question problématique : «Doit-on assister à ces rencontres avec les Juifs et les Israéliens lors des conférences internationales ou s'en abstenir?», je le confirme, sous ma propre responsabilité et sans aucune crainte, qu'en général, je préfère la stratégie de la présence à celle de l'absence.